Un parfumeur talentueux
« Il faut que l'art des parfums s'adapte à des nécessités nouvelles. Il faut que les jeunes parfumeurs se révèlent imaginatifs plus que scientifiques et créent, dans un esprit nouveau, des parfums qui auront la marque du goût français ». Valorisant la créativité et l'innovation, Robert Bienaimé fut l'un des précepteurs de la parfumerie moderne : il s'ingénia toute sa vie à bouleverser cet univers si particulier des fragrances, avec un talent certain.
C'est pourquoi, il convient de lui rendre hommage, en revenant sur sa longue carrière et son implication sincère dans le monde de l'art olfactif.
De chimiste à parfumeur
Né en 1876, Robert Bienaimé fait ses études à Paris, au Collège Lavoisier avant d'intégrer l'Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles, dès ses seize ans. Titulaire d'un diplôme d'ingénieur chimiste, il entre à la Société des Cirages Français, dans laquelle il gravit rapidement les échelons. Il y demeure pendant de nombreuses années, jusqu'à sa rencontre avec le parfumeur et héritier de la célèbre marque Houbigant, Paul Parquet, en 1909, alors à la recherche d'un talent scientifique hors du commun. Malgré des concurrents ayant fait leurs preuves dans le monde de la parfumerie, ce dernier décide de faire confiance à Robert Bienaimé, pourtant débutant... qui s'avère être un créateur de génie.
Travaillant au côté de Paul Parquet, c'est pourtant en échappant à son enseignement et en usant de méthodes totalement différentes que Bienaimé vit s'épanouir son talent. S'appuyant sur de solides connaissances scientifiques, il rappelle néanmoins que «c'est par un don spécial de la Nature, par une intuition particulière, que l'on se révèle Parfumeur», prévalant la sensibilité sur la technicité. En 1912, il crée ainsi le premier bouquet multi-floral de l'histoire Quelques Fleurs, qui connaîtra une grande postérité. Son accord lilas, novateur, associé à l'aldéhyde en feront une fragrance surprenante, éminemment moderne. La carrière de parfumeur de Robert Bienaimé était lancée.
Les années créatives
En 1916, Paul Parquet décède et les rênes de la parfumerie sont confiés à Robert Bienaimé qui lui fait vivre ses plus belles années. La maison grandit et s'ouvre au monde, grâce à des fragrances iconiques telles Mon Boudoir, Le temps des Lilas, Au Matin, Fleur Bienaimée... En parallèle, il développe plusieurs ateliers de recherche portant notamment sur l'élaboration des flacons et des emballages, mais aussi un laboratoire d'étude qui mettra en lumière de nouveaux corps odorants et arômes synthétiques.
Bienaimé s'attache à parfaire l'image de la parfumerie française. Chaque création doit être le résultat de mois de recherche afin de proposer à la clientèle, des produits de très grande qualité. L'attention portée à la fabrication des odeurs va donc s'affermir, tout comme l'audace des présentations. Avec l'avènement de l'Art Déco, les flacons se géométrisent de multiples facettes et leurs écrins se complexifient, décorés de fleurs stylisées.
La naissance de la Maison Bienaimé
A l'aube des années 1930, Robert Bienaimé décide de quitter Houbigant, ébranlé par le décès brutal de son plus proche collaborateur, Paul Schving. Il fonde alors, en 1935, sa propre maison et installe son siège en banlieue parisienne. La première année voit le lancement de cinq parfums parmi lesquels La Vie en Fleurs, Vermeil et Fleurs d'été, aux odeurs délicates et formules complexes.
Parallèlement, il développe une gamme cosmétique : crèmes teintées, fards, rouges à lèvres et vernis à ongles pourront ainsi parfaire l'élégance de la femme des années 30. « Fraîcheur de la jeunesse, Beauté des mains, Eclat du sourire, Velouté et parure du visage » : de jolies promesses, rendues possibles grâce au travail acharné de Robert Bienaimé, et à son indéniable savoir-faire.
L'homme derrière l'artiste
S'il eut une carrière prolifique, Robert Bienaimé se distingue également, pour ceux qui l'ont connu, par sa grande générosité. Ses collaborateurs et ses amis témoignent ainsi tous d'une profonde bienveillance envers lui, comme en attestent les nombreux hommages qui suivront son décès. Bienaimé était avant tout un honnête homme, selon la définition du XVIIe siècle, un homme du monde, moralement vertueux, et ne nourrissait pas de haine envers ceux qui tentaient de l'atteindre. Loin de la rancœur, il refusait de croire à la vilenie d'autrui et restait intrinsèquement éloigné de la vulgarité, refusant de se compromettre avec de simples bassesses.
Homme aimé et aimant, il infusait son amour dans ses créations, offrant parfois un témoignage palpable de son bonheur personnel. La fragrance Jours Heureux en est un exemple éloquent... née à l'aube de sa rencontre avec sa compagne « bien-aimée », Marie-Louise.
La renaissance de cette illustre maison se veut donc un hommage au travail artistique remarquable de Bienaimé mais aussi à son élégance personnelle : vous proposer un voyage olfactif dans le temps ainsi qu'une expérience raffinée et généreuse. En espérant que, depuis les hauteurs célestes, Robert Bienaimé contemple avec bonheur et fierté le renouveau de la marque qu'il a chèrement façonnée.