L'Entre-deux guerres artistique
Tout commence à l'aube des années 1910, où l'Art Nouveau, le "style nouille", est de plus en plus décrié, jugé trop exubérant. Ses détracteurs prônent un retour à la simplicité ornementale, au dépouillement des lignes, aux compositions classiques. Dès 1912, le décorateur André Vera résume parfaitement cette évolution, dans un article intitulé Le Nouveau style : sans équivoque, il débute ainsi "On se demandait s'il existait un style moderne, lorsque subitement cette année le Salon du Mobilier et le Salon d'Automne nous en ont montré deux : l'un périmé, l'autre naissant". L'auteur déplore ces lignes courbes qui convoquent davantage la sensibilité que la raison, qui égarent l'esprit, et il exhorte les artistes à s'inspirer des siècles passés, d'un art classique pénétré "de clarté, d'ordre et d'harmonie". Dans ce climat, tandis que l'art officiel poursuit le déploiement de ses volutes asymétriques, certains artistes recherchent une pureté nouvelle : de nouveaux courants naissent progressivement, loin de l'agitation des motifs, de l'enchevêtrement des lignes.
Les années 1920 et 1930 proposent plusieurs visions du monde, qui prennent différentes formes au fil des années, des sensibilités de chacun : motifs stylisés d'un côté ou absence total de décor de l'autre, puisant leur inspiration tantôt dans la Nature, tantôt dans l'industrie... Plongeons dans la compréhension de cette époque créatrice et novatrice, qui révolutionnera le monde de l'art.
L'Art Déco
Si F. Scott Fitzgerald expliquait que "l'Art Déco s'est construit par la tension nerveuse accumulée et non dépensée pendant la guerre", nous observons les prémices de ce courant dès le début du XXe siècle. En réaction aux excès graphiques de l'Art Nouveau, les artistes commencent à orienter leur travail vers une simplification des lignes, une sobriété des motifs. Le mouvement artistique croit néanmoins après la Grande Guerre, comme suivant un besoin de regénérer l'humanité, de purifier le monde.
Dans ce retour à l'ordre et à la tempérance, géométrisation et synthétisation de l'environnement sont au centre des réflexions. Plusieurs thèmes émergent tels la symétrie, les pans coupés, spirales, fleurs stylisées, corbeilles de fruits, fontaines, éventails... Certains motifs très appréciés, comme les roses aux pétales géométriques, viennent fleurir les façades des nouvelles bâtisses, la marqueterie des meubles, tout comme les détails des robes et manteaux des élégantes.
Mais c'est sans doute la ligne, pure et légère, qui caractérise le plus ce style : à elle seule, elle crée l'espace, forme l'objet, sculpte les corps, avec ce souci d'harmonie et cette monumentalité hiératique qui caractérisent particulièrement l'Art Déco.
L'Egyptomanie
Tandis que l'Art déco vit ses heures de gloires, l'égyptologie va connaître deux évènements majeurs qui vont particulièrement marquer cette époque.
Le 4 novembre 1922, l'archéologue Howard Carter écrit à son mécène "Avons enfin fait une découverte extraordinaire dans la vallée. Une tombe somptueuse dont les sceaux sont intacts." : il s'agit du tombeau de Toutankhamon. Cette découverture fabuleuse, cet enchevêtrement d'or, rencontre un succès prodigieux auprès du public qui se passionne pour ce pharaon mort prématurément. Puis, en 1924, est dévoilé pour la première fois au public berlinois le célèbre buste de Néfertiti : la reine égyptienne devient dès lors un canon de beauté pour les artistes, un modèle de sophistication pour les élégantes. Ainsi, l'époque va s'enthousiasmer pour cette civilisation énigmatique et magique.
Le monde artistique s'éprend, lui aussi, de ces décors égyptiens, de ces couleurs chatoyantes, de ces motifs épurés... au point de s'en inspirer largement. En effet, les deux styles, pourtant séparés de milliers d'années, se mêlent, sans s'étouffer. L'art égyptien apporte à l'Art déco, parfois austère, une touche de fantaisie et des éléments décoratifs singuliers, tandis que ce dernier contribue à moderniser les principales caractéristiques du premier.
Cette symbiose artistique entre deux univers tient notamment en plusieurs motifs et thèmes de prédilection : disques ailés, coiffes pharaoniques némès, vautours, scarabées, palmettes, chevrons, hiéroglyphes... que l'on retrouve sur les frontons des façades, sur les mosaïques des immeubles, dans le mobilier, les objets, les illustrations, les vêtements et même les publicités ! Le quotidien des occidentaux, en ce début de siècle, se comprend au rythme des hiéroglyphes : habillée de la dernière création de Jeanne Paquin, sa robe "momie", l'élégante découvre Cléopâtre, œuvre cinématographique de Cecil B. DeMille, sur la toile du cinéma parisien Le Louxor. On adore l'Égypte, c'est mystérieux, c'est merveilleux !
Le Streamline
Suite à la crise économique de 1929, apparait progressivement le mouvement streamline aux Etats-Unis. Littéralement ce style "cours du ruisseau", également appelé "style paquebot", va s'inspirer de l'univers nautique, progressivement naviguer vers de très beaux jours et connaître son apogée à la fin des années 1930.
A l'aube de cette période, les Américains sont marqués par la Grande Dépression que Franklin D. Roosevelt souhaite combattre par l'instauration d'une nouvelle politique : le New Deal. L'objectif est de relancer l'économie américaine, meurtrie depuis le krach boursier de 1929, par l'entremise de la consommation des ménages. Dans ce contexte singulier, chacun recherche les base d'un nouvel essor et les artistes se penchent vers des créations fonctionnalistes à l'esthétique industrielle, alors synonyme de progrès. Les années 1930 voient également l'apparition d'une profession inédite, à l'origine du mouvement streamline : celle de designer. C'est à ce moment que les premières agences de design et d'esthétique industrielle voient le jour et qu'elles développent, dans une recherche constante de dynamisme, de mouvement vers le futur, une production de masse doublée d'un goût prononcé pour les courbes striées de lignes horizontales, en creux ou en relief : le streamline est né.
"La laideur se vend mal" ne cesse de répéter l'une des grandes figures du streamline, le designer industriel franco-américain, Raymond Loewy : relancer la consommation - et donc l'économie - par l'ajout de beauté aux objets du quotidien, voilà l'idée exposée par ces artistes de la modernité. Inspirés par la sobriété de l'Art déco et l'aérodynamisme, les lignes des objets vont se courber, se fluidifier. A une esthétique épurée s'ajoutent des matériaux modernes, tel l'aluminium, la bakélite et les nouveaux plastiques. C'est ainsi que le streamline et le design envahissent l'univers du travail, de la maison, peu à peu l'espace public : le futur et le progrès sont en marche.
Le Modernisme
On peut situer le commencement d'un art novateur, d'un design moderniste à la création de la Staatliche Bauhaus (Maison de la construction), en 1919, à Weimar en Allemagne. Au départ, simple initiative étatique mise en place pour rapprocher artistes et artisans, pour amincir le fossé entre l'art et l'industrie, l'institution est rapidement gagnée d'une fièvre créatrice, source d'inspiration pour les artistes du monde entier. Ses directeurs successifs, Walter Gropius et Ludwig Mies Van Der Rohe valorisent l'usage des pièces qu'ils créent : la forme doit être tributaire de la fonction. C'est sur ce postulat que prend corps, peu à peu, le modernisme.
Designers et architectes ouvrent leur horizon et explorent de multiples champs. Grâce à l'essor de l'industrialisation, à la production en série et à l'avènement de matières innovantes, de nouvelles idées germent dans les esprits des artistes et gagnent tous les domaines artistiques : l'architecture, la peinture, la sculpture, le mobilier et les objets du quotidien. En France, Le Corbusier propose ainsi une architecture puriste à visée sociale et qui devra par la simplicité de son design et par sa rigueur, apporter le bien-être à tous, tandis que Charlotte Perriand réfléchit à une nouvelle vision du confort, à travers un mobilier innovant, alliant bois et métal...
Les formes évoluent, plus géométriques, plus abstraites, plus pures. L'art moderniste correspond en cela à l'état d'esprit utopiste des années 1930, à cette recherche d'une contemporanéité émancipatrice, synonyme de bonheur.