Merveilleuses boîtes
Aborder l'histoire de la parfumerie ne peut s'entendre sans évoquer le monde si particulier des poudres de beauté. Quelles soient libres ou compactes, parfumées ou non, rosées ou transparentes, elles fascinent depuis toujours la Maison Bienaimé. Celle-ci s'est d'ailleurs prêtée au jeu dès les années 1930 et ainsi les élégantes pouvaient rehausser leurs carnations naturelles de teintes aux noms évocateurs : Ocre rosé, Teint doré ou encore Chair ambrée qui devaient ajouter "à la peau, un velouté aussi délicat que celui de la pêche".
Si le contenu est essentiel, il n'en demeure pas moins du contenant. Les écrins cartonnés pour ces poudres d'éclat attirent l'œil par leur beauté et leur originalité : décorés de scènes à l'antique chez Bourgeois, ornés de houppettes en léger relief chez Coty, parés d'une corbeille de fleurs chez Houbigant, leur finesse émerveille.
Découvrons ensemble cet univers poudré !
Une brève histoire de la poudre de beauté
L'usage des fards remonte à l'Antiquité, lorsque les femmes blanchissaient leur teint, le lissait et en effaçait les rides grâce à divers mélanges et poudres de leurs inventions, à base d'enduit de chaux et de farine de fèves. La pratique s'est ensuite perpétuée chez les Gaulois, puis au Moyen-âge et s'est étendue aux hommes. A la cour de Catherine de Médicis, les teints d'albâtre étaient synonymes de raffinement et les matériaux rustres pour obtenir cette poudre blanc nacré furent délaissés au profit de perles liquéfiées ou broyées.
Sous le règne de Louis XIV s'ajoutent au visage de porcelaine, des lèvres carmines, et les perruques sont elles-aussi poudrées d'une fine pellicule d'amidon parfumé. Louis XV et Louis XVI poursuivent cette tradition ; ainsi, femmes, hommes et enfants se doivent de paraitre au monde, fardés et parfumés. Peu à peu, l'amidon de blé laisse place au talc, plus léger, et les fragrances se multiplient, sous l'Empire ; Joséphine de Beauharnais apprécie se parfumer à la poudre vanillée, aux odeurs d'iris et d'épices exotiques.
Les parfumeurs, en ces temps, ignoraient néanmoins les lois de la biologie et de la toxicologie. Les poudres n'étaient pas testées et certaines composantes pouvaient se montrer extrêmement dangereuses, comme la céruse, le carbonate de bismuth, l'antipyrine pulvérisée ou le blanc de perle. Il faudra attendre les progrès de la chimie au début du XXe siècle pour que l'usage des fards soit une pratique moins périlleuse. C'est également au tournant du siècle que la poudre devient l'apanage des femmes et que, peu à peu, avec l'avènement des congés payés et des premières sorties à la plage, le teint se hâle et les palettes de coloris se diversifient.
Les écrins
Sous l'Ancien régime, les boîtes à poudre étaient de véritables objets d'art. Les matériaux les plus nobles, tel l'ivoire, certains bois précieux ou la laque de Chine, permettaient la réalisation de coffrets aux détails somptueux. A Grasse, capitale française du parfum, certains écrins voyaient leurs parois intérieures doublées d'écorce de bergamote, qui parfumait délicatement le maquillage.
Ces poudriers d'apparat sont toutefois réservés aux boudoirs et cabinets de toilettes des femmes de la haute société. La poudre s'achète dans des boîtes cartonnées qui servent pour le transport, avant d'être transvasée dans un plus bel écrin, un poudrier de bois, de métal ou de pierre, qui trône sur la coiffeuse. Avec le temps pourtant, ces écrins de papier sont de plus en plus travaillés et leur sens esthétique leur vaut d'obtenir une place de choix dans l'antre de beauté des élégantes du début du XXe siècle.
Dès le début de l'industrialisation des poudres de beauté, sont produites des milliers de boîtes cartonnées dont la recharge, remplie par le fond, est recouverte de cellophane. Ces boîtes à poudres rechargeables se distinguent par leurs multiples coloris, par leurs gaufrages et par une iconographie originale, œuvre de talentueux illustrateurs.
Les poudriers vont, par la suite, connaître de multiples évolutions, notamment avec l'invention de la poudre compacte. Les fards se concentrent dans des espaces réduits et il est possible de créer des boites plus fines, en métal, puis en aluminium, avant l'apparition des premiers plastiques : progressivement, le poudrier quitte la coiffeuse pour être emporté avec soi, glissé dans de jolies aumônières… Les contenants les plus extraordinaires, agrémentés de petits miroirs, voient alors le jour, pour le boudoir ou le sac à main, refermant poudres, rouge à lèvres et à joue. Ce sont de véritables accessoires de mode, et les différentes marques redoublent d'invention pour proposer des créations fabuleuses.
En témoigne le légendaire poudrier cadran téléphonique crée par Salvador Dali et offert par la Maison Schiaparelli, pour son défilé en 1935. Objet féminin par excellence, l'écrin à poudre s'agrémente de fleurs et nœuds, devient éventail ou minaudière. Prenant les formes les plus fantasques, il encourage même la bravoure des soldats dans les années 1940 et porte le képi !
Poudre et réclame
Au début du XXe siècle, parfumerie et chimie commencent à travailler de concert, avec l'accélération de l'industrialisation. Les laboratoires cosmétiques font des progrès considérables : la poudre de beauté devient un produit technique et les marques débutent alors une course à la nouveauté. La finesse, le naturel, et les parfums des poudres sont travaillés et retravaillés pour proposer un produit toujours plus remarquable. Ainsi, tandis que L.T. Piver propose une poudre extrêmement légère, mise au point grâce à des années de recherche, René Rambaud invente "la seule poudre qui tient sous la pluie" !
Assurer un fini matifiant est au cœur des expérimentations : il est essentiel de pouvoir promettre une teint frais, aux ridules camouflées et aux imperfections gommées. Coty développe la gamme Air Spun, "la seule poudre micronisée" unifiant parfaitement tous les teints et qui sera un succès éclatant. La finesse des fards est également un gage de qualité : Roger & Gallet se targue ainsi de proposer des poudres de riz "tout à fait impalpables, très adhérentes, parfaitement inoffensives".
L'obsession de la jeunesse éternelle est également un axe de recherche important pour les marques de cosmétiques : Elizabeth Arden prodigue ses conseils sur les poudres à utiliser pour prolonger ou recréer "l'éclat des trente ans" et ainsi "rester jeune toute votre vie". Un programme ambitieux, souvent envisagé avec humour, comme le démontre la poudre Gibbs dont l'un des premiers avantages est "qu'elle ne prend jamais la poudre... d'escampette !". Et même, pendant les instants austères de la seconde guerre, si la coquetterie n'est pas toujours de mise, cela n'est en aucun cas une excuse pour ne pas, de temps en temps, arborer quelques couleurs artificielles car, comme le rappelle Bourgeois, "il serait heureux de vous savoir aussi belle" !
Poudres et poudriers de Bienaimé
Avant d'être parfumeur, Robert Bienaimé avait débuté une carrière en tant que chimiste et cet intérêt pour les sciences aura un impact lorsqu'il se penchera sur la création de poudres de beauté. Mettre en avant la technicité des produits était un véritable gage de qualité pour la Maison Bienaimé, dès 1935 : "préparée par le procédé centrifuge le plus moderne qui permet d'obtenir la finesse la plus grande qu'il soit possible d'atteindre, la poudre de beauté Bienaimé renferme un élément à base de crème qui, outre les qualités adoucissantes qu'elle lui confère, donne à la poudre une adhérence parfaite et par les propriétés de dispersion, assure une application uniforme" !
Face à ces produits modernes et révolutionnaires, les contenants s'inspirent, au contraire, de styles plus anciens, à l'élégance immuable. Dans une veine néoclassique, de fins motifs se développent sur certains écrins, tels les volutes rappelant les chapiteaux des colonnes ioniques antiques et les profils, comme sculptés dans le marbre blanc. Pour d'autres poudriers, roses et pivoines fleurissent sur le cartonnage gaufré... toujours avec grâce et délicatesse.