Réflexions sportives
Alors que le monde entre avec fracas dans l’ère désastreuse de la Grande Dépression, le sport émerge comme un élément clé de cohésion des populations, désormais suivis par des millions de spectateurs, grâce aux avancées des médias de masse. La popularisation croissante des évènements sportifs donne lieu à une réflexion quant à l’esthétisation des épreuves, qui deviennent des spectacles soigneusement orchestrés. Les stades et arènes construits durant cette période ne sont pas seulement des lieux de compétition, mais de véritables œuvres architecturales symbolisant la grandeur et l'ambition de leur époque, tandis que les athlètes eux-mêmes incarnent une nouvelle esthétique du corps et de la performance, leurs uniformes et gestes immortalisés par la peinture et la photographie.
Plongez avec nous dans le monde sportif des années trente, incarnation d'une époque en constante évolution, entre souci d'élégance et recherche de modernité.
Architecture et structures
L’entre-deux guerres assiste à la construction de nombreux complexes sportifs, stades, gymnases, vélodromes, hippodromes, piscines, patinoires… aux proportions méticuleusement calculées afin d’améliorer l’expérience des spectateurs et au design travaillé dans une veine Art déco, typique de ce moment.
Ces nouveaux espaces, outre leur aspect fonctionnel, deviennent des laboratoires techniques, technologiques, et mettent en lumière avancés et progrès des états. Tel est le cas du Yankee Stadium de New-York : caractéristique du gigantisme moderne propre aux Etats-Unis, sa hauteur colossale et ses tribunes massives sont pensées pour accueillir jusqu’à 82.000 spectateurs. Par ailleurs, un système d’éclairage novateur permet au public de suivre les matchs nocturnes, favorisant l’accessibilité et l’intérêt porté au baseball. Au même moment, outre Atlantique, débute le chantier de restructuration de l'Olympiastadion, en Allemagne, édifice circulaire semi-enterré, aux lignes épurées, mêlant influences néoclassiques et Art déco. Imposant, il permet d'accueillir les journalistes du monde entier grâce à de nombreuses salles de presse, alors que les compétions sont diffusées en direct par la radio, en vingt-huit langues.
A Paris, l’architecte Lucien Pollet (1888-1972) se penche quant à lui sur la réalisation de plusieurs piscines au style caractéristique des années trente. La Piscine de Pontoise, situé dans le Ve arrondissement, ainsi que Molitor, se distinguent par leurs grands bassins, encadrés de balcons et de baies vitrées, laissant passer une douce lumière naturelle ; leurs cabines aux portes bleu ciel alternent avec les murs jaunes rehaussés de mosaïques géométriques, dans un souci de grand raffinement. La Piscine des Amiraux, œuvre d'Henri Sauvage, révèle une tendance plus moderniste : l'ensemble est épuré et présente une façade à gradins, des murs carrelés et des cabines en coursives. La capitale française prouve ainsi qu’il est possible d’allier sport et élégance.
Les athlètes et la mode
Les tenues sportives connaissent également d'importantes métamorphoses. La recherche se porte sur l'esthétique, subordonnée au confort et à la fonctionnalité. Les besoins des athlètes s'affinent parallèlement aux vêtements qui y soumettront leurs coupes et matériaux. Les tenues de tennis sont allégées, privilégiant des tissus en coton et des shorts pour les hommes, tandis que, la révolution féminine se fera par l'entremise de Suzanne Lenglen qui concourt, vêtue d’un cardigan sans manche et d’une jupe plissée de soie blanche s’arrêtant aux genoux, œuvre du célèbre couturier, Jean Patou. En natation, les maillots de bain ajustés en jersey de laine offrent pour leur part, une meilleure mobilité dans l'eau.
Pour autant, allure et élégance ne seront aucunement sacrifiés à la technicité croissante, et les motifs et les coupes reprendront les codes du style de cette époque. Les athlètes adoptent des tenues aérodynamiques, tandis que les golfeurs portent des pantalons « plus-fours » et des cardigans au lainage géométrique. L'introduction de tissus synthétiques, permet également la réalisation de vêtements plus légers, améliorant les performances des sportifs. Certaines personnalités imposeront leur style, avant-gardiste et audacieux : c'est ainsi que la patineuse norvégienne, Sonja Henie, apparaitra sur la glace dans des robes spectaculaires, ornementées, parfois même scintillantes, inspirées par les tenues de scène.
Représentations artistiques du sport
Certains artistes comme Fernand Léger, Octave Guillonnet, Robert Delaunay et André Lhote se prennent au jeu afin de capturer l'énergie et le dynamisme de cette décennie sportive. Le cubisme et l'art abstrait se développent en effet parallèlement à l'importance grandissante du sport. Ils s'emparent de plusieurs thèmes contemporains, que les artistes se plaisent à regarder, documenter et transcender par leur art. Avec son œuvre Stade - La culture physique (1937-1938), Fernand Léger juxtapose différents éléments caractéristiques de la gymnastique (altères, massues, cordes, agrès...) aux formes géométriques colorées et contrastées. L'importance de la palette est également soulignée par Robert Delaunay, dans sa série des Coureurs (1924), illustrant des athlètes aux lignes sculpturales, aux teintes vives, créant une sensation de mouvement continu.
Octave Guillonnet (1872-1967) se distinguera de ses pairs par son amour tout particulier pour le sujet sportif en peinture. Remarqué à la fin du XIXe siècle grâce à sa Partie de Rugby, toile monumentale commandée en hommage à Frantz Reichel, premier champion de France de rugby à XV, il entrera rapidement en contact avec de nombreux sportifs... prélude à des amitiés durables. En 1901, il immortalise en peinture la fête fédérale de l'Union des sociétés de gymnastique de France, à Nice, une œuvre largement diffusée sous le médium d'eaux-fortes qui feront le tour du pays. Plus tard, il signe une huile sur toile délicate et poétique : La Partie de tennis. Si l'énergie du match est parfaitement captée, il en est de même pour l'élégance dont font montre les joueurs : vêtus de fluides tenues ivoires, deux couples se renvoient la balle, tandis que les spectateurs de ce moment, bavardent sous leurs fines ombrelles. Enfin, Guillonnet collabore avec la Manufacture de Sèvres, créant un vase commémoratif des Jeux Olympiques de Paris, décoré de quatre médaillons en bas-reliefs figurant un escrimeur, un gymnaste, un pelotari et des joueurs de polo sur fond de lauriers.
Sport au féminin
La sphère sportive ne fut pas très accueillante pour les femmes, au début du siècle. Dans le domaine privé, le sport restait l'apanage de personnalités de haut rang : il devait permettre aux élites de se montrer, dans un moment ludique et énergique. Le tennis féminin, plus qu’une réelle performance sportive, était par exemple l’occasion de s'afficher, dans ses plus beaux atours : ainsi les joueuses s’affrontaient en robes à flanelles, bustiers et cravates, évidemment chapeautées. Dans cette idée, les compétitions nationales et internationales leur étaient interdites. Le fondateur des Jeux Olympiques, le Baron Pierre de Coubertin, expliquait d'ailleurs qu'une "olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte". En cela, il s'inscrivait dans la tendance de son temps selon laquelle la place de la femme était ailleurs et la transformation physique de la silhouette, musclée, pouvait entraîner une perte de féminité et de fertilité.
Peu à peu, pourtant, les femmes conquièrent ce monde et, dans les années trente, comptent parmi les concurrents olympiques en tennis, golf, tir à l'arc, patinage, natation, escrime, gymnastique, athlétisme et ski. Le travail acharné d'Alice Milliat (1884-1957) y est pour beaucoup : ancienne nageuse et rameuse, elle contre l'immobilisme des associations de l'époque, fonde la Fédération sportive féminine internationale en 1921 et fait de la participation des femmes aux Jeux Olympiques son combat le plus considérable.
D'autres s'imposent comme des figures emblématiques dans le monde de la compétition. Violette Morris (1893-1944), athlète polyvalente, excelle dans de nombreux sports comme le cyclisme, la natation, l'athlétisme et même la course automobile. Connue pour son refus de se conformer aux normes de l'époque, elle surmonte critiques et exclusions, se surpassant continuellement, animée par son célèbre slogan : "Ce qu'un homme fait, Violette peut le faire". En 1927, elle gagne ainsi la course automobile du Bol d'Or : après 1700 kilomètres de route en forêt, elle franchit la première, la ligne d'arrivée, avant les dix-huit autres concurrents, tous des hommes. De son côté, Suzanne Lenglen (1899-1936), surnommée "La Divine", révolutionne le tennis féminin par son style de jeu audacieux et sa personnalité charismatique. Dominant la scène mondiale avec six titres de Wimbledon et deux médailles olympiques, elle brise les conventions vestimentaires strictes, jouant dans des tenues plus pratiques qui mettent en valeur son athléticité exceptionnelle. Ensemble, Morris et Lenglen ouvrent la voie à une plus grande acceptation et reconnaissance des athlètes féminines, inspirant des générations de sportives à venir.